Vivre à l’ère de la COVID-19

Préoccupante, sans précédent, empreinte d’incertitude – les qualificatifs ne manquent pas pour décrire la pandémie de COVID-19, et chacun y réagit à sa façon. Nous avons discuté avec quatre personnes – tous des patients cardiaques – qui nous ont généreusement fait part de leur expérience à date. Leurs histoires sont des exemples parmi tant d’autres de la façon dont notre communauté s’est adaptée à cette période bien particulière.

Angela Peterson

Q. Comment avez-vous abordé la pandémie ? 
Au début de la pandémie, on s’est isolés à la maison – on ne sortait qu’une fois semaine pour faire les courses tôt le matin, et on lavait tous nos achats avant de les rentrer à l’intérieur. Pendant la première phase de la pandémie, on ne visitait nos parents que sur le pas de la porte, mon frère et moi. Ils ont trouvé ça vraiment difficile. Quand on est passés à la phase 2, on a voulu faire partie de la même bulle sociale qu’eux, parce qu’on commençait à remarquer les répercussions de l’isolement sur leur santé mentale. Ils ont encore du mal à s’y faire, mais ils vont un peu mieux depuis les dernières semaines. 

C’était vraiment difficile de rester cloîtrés à la maison, mais ces trois dernières semaines, on a commencé à faire plus d’activités et à passer du temps dehors – ça nous a pris un peu de temps pour en arriver là. L’épicerie m’angoisse un peu moins maintenant, et j’ai commencé à y aller quelques heures après l’ouverture. On sort un peu plus souvent avec les enfants – on les amène manger des crèmes glacées ou des queues de castor, faire des balades en voiture ou s’asseoir là où il n’y a personne dans les environs. Je suis encore un peu anxieuse – on s’éloigne quand il y a foule quelque part. On a commencé à sortir un peu plus parce qu’on ne veut pas laisser nos émotions prendre le dessus; on ne veut pas non plus que nos enfants aient peur. On utilise toujours des masques, du désinfectant et des lingettes. Ce qui me fascine et me fait peur en même temps, c’est que plein de gens ne le font pas. 

Q. En quoi vos circonstances sont-elles différentes de celles des autres personnes dans votre cercle ? 
Mon père et moi avons tous deux de graves problèmes de santé qui font de nous des personnes particulièrement à risque : il passe pas mal de temps à l’hôpital, et j’ai dû m’y rendre moi aussi. Ce n’est pas nécessairement le cas des autres personnes dans mon cercle, et elles ne prennent pas toutes les mêmes précautions : tout le monde évolue dans un contexte différent, avec des perspectives différentes. 

Q. Que trouvez-vous le plus difficile ?
Pour moi, le plus difficile, c’est de concilier le travail et ma vie personnelle, de ne pas avoir de temps à moi. J’ai des enfants, alors il n’y a aucun temps mort – mon mari et moi travaillons tous deux de la maison. Je travaille à la table de la salle à manger, alors c’est difficile de faire abstraction de tout ce qui se passe autour de moi : je suis toujours appelée à faire quelque chose. Faire l’école à la maison tout en travaillant à distance, ça aussi c’est éprouvant. 

Même si on ne porte pas le masque quand on voit mes parents, on ne les prend pas dans nos bras et on ne les embrasse pas par mesure de précaution. Ça me manque. Avant, je voyais aussi mon frère et mon neveu beaucoup plus souvent; aujourd’hui, on passe moins de temps ensemble, et je trouve ça difficile. 

Q. Quel bon côté avez-vous trouvé à la situation ?   
Ce qu’il y a de vraiment bien, c’est pouvoir passer beaucoup plus de temps de qualité avec mon mari et ma famille. On a beaucoup cuisiné, ma fille et moi avons fait une démonstration culinaire en ligne, on a profité de notre petite piscine et de notre gazebo, ce genre de choses. J’ai aussi moins l’impression de courir partout, maintenant que je n’ai pas à conduire les filles à toutes leurs activités ni à me rendre au bureau. La transition au virtuel a un peu libéré mon horaire. 

Q. Comment entrevoyez-vous les prochains mois ? 
L’annonce (du 30 juillet) sur les écoles m’inquiète beaucoup. Il y a eu beaucoup d’éclosions dans les garderies, alors qu’est-ce qui va se passer quand nos enfants vont retourner à l’école? Ça m’inquiète de ne pas savoir à quoi m’attendre; les enfants ont moins de contrôle sur leur situation. Je suis heureuse de savoir que les masques seront obligatoires dans les classes de mes enfants, et je veux me joindre au conseil des parents cette année pour contribuer à faire circuler l’information. Quant à mon travail, je vais devoir m’y rendre quelques fois par semaine et pourrai faire le reste de la maison. Comme je travaille dans un milieu vraiment achalandé, ça m’angoisse un peu. Cela dit, je prends toutes les mesures nécessaires; mon employeur fait lui aussi très attention et m’épaule là-dedans, alors c’est rassurant. 

Steven Barger


Q. Comment avez-vous abordé la pandémie ? 
Je me suis isolé au début, puis après deux ou trois semaines, j’ai commencé à opter pour la distanciation physique. Je vis avec un trouble dépressif, et il suffit parfois de rester à l’intérieur pour le déclencher – par souci pour ma santé mentale, j’ai pris la décision de briser mon isolement. J’ai de très bons amis que je voyais sur FaceTime au début, mais on a fini par passer à la distanciation physique. J’essaie aussi de bien manger et de rester actif – marche, randonnée en nature, un peu de vélo et, dernièrement, la rame. C’est plus facile maintenant que les restrictions ont été assouplies. Mes amis et moi, on est quand même responsables et on fait attention. Je vis moins d’inquiétude que d’autres – je pense déjà avoir été exposé au virus, mais sans manifester de symptômes pour autant. 

Q. En quoi vos circonstances sont-elles différentes de celles des autres personnes dans votre cercle ?  
J’ai vécu une séparation pendant cette période. Ma mère est décédée à Pâques, et je prends soin de mon père de 91 ans. 

Q. Somme toute, comment avez-vous vécu les derniers mois ? 
Ç’a été une période éprouvante, positive, relaxante, occupée – ça dépend de mon état d’esprit. Comme j’ai traversé plusieurs épreuves, je regarde le bon côté des choses : mes enfants sont toujours là, mon père aussi. Je suis reconnaissant d’avoir fait une crise cardiaque – ça m’a amené à perdre du poids et à me mettre en forme. Parfois je me concentre sur ce qu’il y a de bien, parfois moins. J’ai fait beaucoup d’activité physique, mais j’ai aussi mangé beaucoup de cochonneries; je recommence maintenant à faire attention. J’ai lu des livres que je voulais lire depuis longtemps pour me renforcer mentalement, j’ai tenu un journal où j’écris ce dont je suis reconnaissant et j’ai fait beaucoup d’introspection. Je crois qu’il faut s’attarder aux bonnes choses, surtout que les médias ne parlent que des mauvaises nouvelles. Si on se concentre sur le négatif et qu’on s’en fait tout le temps, c’est tout ce qu’on voit.

Q. Que trouvez-vous le plus difficile ?
Garder une routine et m’organiser. Il m’arrive de laisser tomber certaines choses à certains moments. Il faut bien dormir à un moment donné. 

Q. Quel bon côté avez-vous trouvé à la situation ?
Renouer avec ma famille. Jouer avec mes filles quand elles sont chez moi. Travailler sur moi-même. 

Q. Comment entrevoyez-vous les prochains mois ? 
La deuxième vague s’en vient. Elle va arriver sous une forme ou une autre. Ça m’inquiète un peu, si ce n’est que pour les répercussions qu’elle va avoir sur la santé mentale de certaines personnes, mais je suis aussi optimiste. J’espère que cette expérience fera de nous une société plus forte. J’espère que ceux qui vivaient dans la peur aborderont la chose différemment pour la deuxième vague, qu’ils apprendront à être moins craintifs. Mon conseil? Oui, on vit en temps de pandémie – il faut simplement faire preuve de jugement.

 

Marjorie Pettigrew

Q. Comment avez-vous abordé la pandémie ? 
Au début, je faisais vraiment attention – je restais à la maison, sauf pour l’épicerie et d’autres activités qui me semblaient plutôt sécuritaires. Je porte un masque et je me lave les mains, mais je n’ai jamais nettoyé les aliments ou mes comptoirs en arrivant de l’épicerie. Mes filles ne sont pas venues me voir les premières semaines, mais elles ont recommencé à le faire dernièrement. Elles travaillent, et une d’elles doit interagir avec le public, mais ça ne m’inquiète pas. J’ai 82 ans, et comme je me tiens principalement avec des gens de mon âge, je crois que c’est un peu plus sécuritaire. Les jeunes semblent s’exposer beaucoup plus au virus – mes petits-enfants y sont beaucoup plus exposés, par exemple, alors je ne les ai vus qu’une fois depuis le début de la pandémie. 

Q. En quoi vos circonstances sont-elles différentes de celles des autres personnes dans votre cercle ? 
Je vis seule, alors j’ai envie de sortir et de discuter avec les gens. J’aime bien rencontrer du monde. Je crois que c’est très différent lorsqu’on vit avec quelqu’un – la plupart des couples que je connais n’ont pas trop semblé souffrir de s’isoler pendant plusieurs mois. Heureusement, j’ai quelques amis qui vivent la même chose que moi – ils vivent seuls eux aussi et ont besoin de sortir voir du monde. On se réunit pour souper : soit on se fait livrer quelque chose, soit on cuisine et on mange sur la terrasse, que ce soit chez moi ou chez eux. 

Q. Somme toute, comment avez-vous vécu les derniers mois ? 
Je suis surtout frustrée de ne pas pouvoir voir mon cercle social – les gens restent chez eux, ne sortent pas, se font livrer l’épicerie à la porte. D’après moi, si on s’isole chacun chez soi en attendant un vaccin, on ne verra personne d’ici 2022. Je souffre d’insuffisance cardiaque – à mon avis, mes chances sont relativement minces d’en voir le bout. Je ne peux pas passer le reste de ma vie encabanée. Ma vie sociale consiste surtout à sortir souper, alors si Santé publique Ontario dit que c’est correct d’y aller, moi, j’y vais. Je privilégie les restaurants qui ont aménagé un espace intérieur pour les repas, question de les encourager. C’est vraiment bizarre – je me sens plus en sûreté à l’intérieur, parce que ça nous est arrivé d’être les seules personnes dans le restaurant. On porte un masque et on ne parle qu’avec notre serveur, qui lui aussi en porte un. En revanche, les terrasses sont bondées et la distanciation semble y poser problème. Il m’arrive d’aller me promener en voiture pour voir le monde, et je remarque qu’un rien me fait plaisir. Une fois, par exemple, j’ai vu plein de gens magasiner au centre Westgate. Juste ça, ça m’a fait plaisir. 

Q. Que trouvez-vous le plus difficile ? 
Je trouve toute cette affaire bien difficile du côté des amitiés – ça me coûte de ne pas pouvoir voir mes amis. Notre vie sociale me manque. 

Q. Quel bon côté avez-vous trouvé à la situation ? 
Certains disent qu’ils aiment passer du temps en solo ou qu’ils se sont découvert de nouveaux passe-temps, mais ce n’est pas mon cas. Le seul côté positif qui me vient à l’esprit, c’est que mes finances se portent mieux. Le gouvernement m’a fait parvenir un chèque de 300 $ que je n’espérais pas, et je dépense moins depuis que mes sorties sont limitées.

Q. Comment entrevoyez-vous les prochains mois ? 
J’ai fortement l’impression que les prochains mois ressembleront aux derniers. Je crois que le Canada a relativement bien géré la situation – on verra peut-être une hausse des cas, mais rien d’incontrôlable. Je suis triste pour ceux qui ne peuvent pas sortir de chez eux – je crois qu’on va devoir vivre avec ce virus pendant très longtemps et apprendre à s’y accommoder.

Risa Mallory

Q. Comment avez-vous abordé la pandémie ? 
On a eu vent de la COVID-19 pendant notre séjour annuel de six mois en Arizona. On est revenus plus tôt à la maison et on s’est mis en quatorzaine. Pendant ces deux semaines, on a fait livrer notre épicerie, et nos voisins et amis ont proposé de faire des courses pour nous. On sortait le temps d’une marche, en faisant très attention de garder nos distances. Comme mon conjoint et moi vivons tous deux avec la maladie du cœur, on sait qu’on est plus à risque, alors on observe toutes les recommandations du ministère de la Santé de l’Ontario. Après la quatorzaine, j’ai commencé à me rendre à la pharmacie et dans les épiceries spécialisées qui n’offrent aucun service de ramassage. Pour le reste, j’ai continué à tout commander en ligne. Quand le golf a repris à la phase 2, on a tout de suite sauté sur l’occasion – c’était rassurant de voir toutes les mesures d’hygiène et de distanciation en place. Depuis le début de la phase 3, on a recommencé à voir nos amis et les membres de notre famille à l’extérieur, que ce soit chez eux ou au resto, mais je ne suis pas encore à l’aise d’aller m’asseoir à l’intérieur d’un restaurant. 

Q. En quoi vos circonstances sont-elles différentes de celles des autres personnes dans votre cercle ? 
J’ai eu une triple dissection spontanée des artères coronaires (DSAC) il y a 16 mois et mon cœur demeure passablement endommagé, alors je me sens un peu plus susceptible de contracter le coronavirus et d’en subir les contrecoups. Je suis donc probablement plus vigilante que je ne l’aurais été sinon. Je m’estime extrêmement chanceuse de vivre avec quelqu’un. Je crois qu’en ce moment, avoir quelqu’un qu’on peut toucher, prendre dans ses bras et avec qui on peut parler est un important déterminant de la santé physique et émotionnelle. Je suis aussi reconnaissante de pouvoir me distraire pendant cette période d’isolement – je fais du bénévolat au Centre canadien de santé cardiaque pour les femmes, j’administre un groupe sur Facebook, je participe à plusieurs balados sur la santé cardiaque, et je fais des appels sur FaceTime chaque semaine avec ma famille pour jouer à des jeux en ligne. 

Q. Somme toute, comment avez-vous vécu les derniers mois ? 
La quatorzaine a probablement été la période la plus difficile, parce que les restrictions et l’isolement étaient à leur comble ; la météo laissait aussi encore à désirer. Dès que j’ai pu retourner chez la coiffeuse et sur le vert, j’ai eu l’impression d’un certain retour à la normale. Le golf aide beaucoup à ma santé mentale et physique. Je sors du condo, je vois du monde, je prends l’air, je fais de l’exercice – j’apprécie avoir le sentiment de reprendre ma routine d’avant. Les premiers mois, on regardait les points de presse du premier ministre et ça nous rassurait – on voyait qu’il consultait des experts et qu’il fondait ses lignes directrices sur la science et la recherche. On a voulu suivre le leadership de notre gouvernement et continuer de faire notre part pour nous protéger, tout en protégeant nos voisins et la communauté au sens large. 

Je suis psychothérapeute à la retraite, et j’ai toujours entretenu la reconnaissance dans ma vie personnelle. La vie, c’est parfois compliqué et il peut y avoir des désagréments, mais je crois qu’on a tous une mesure de contrôle sur nos pensées et nos gestes. Je travaille à ne pas m’inquiéter pour les choses sur lesquelles je n’ai pas d’emprise, que ce soit un nouveau virus ou le comportement des autres. 

Q. Quel bon côté avez-vous trouvé à la situation ? 
Il y a eu de nombreux côtés positifs, et ils l’emportent sur le stress de l’incertitude. Ce qui m’a le plus fait chaud au cœur, ç’a été de voir la solidarité et l’entraide à l’œuvre dans notre communauté : en temps de besoin, les gens se sont venus en aide les uns les autres. On a été touchés par l’aide que nous ont offerte nos amis et nos voisins pendant notre quatorzaine; quand on en est sortis, on a commencé à offrir à nos voisins seuls de l’aide pour faire leurs courses. 

On vit tout près d’une maison de retraite qui s’est placée en confinement total. À la fête des Mères, j’ai aperçu par la fenêtre une caravane de 30 voitures – les visiteurs ont roulé autour de la résidence pendant une demi-heure en klaxonnant et en faisant aller la main par les toits ouvrants. Les résidents sortaient sur leur terrasse ou leur balcon et les saluaient eux aussi – c’était vraiment quelque chose à voir. Pendant les trois premiers mois, la résidence a organisé une foule d’activités dans son stationnement, comme du bingo, des séances d’activité physique, des concerts et des jeux-questionnaires. 

Q. Comment entrevoyez-vous les prochains mois ? 
Je crois qu’à l’échelle mondiale, il nous reste encore beaucoup de chemin à faire pour aplanir la courbe, mais je suis plutôt optimiste que nous y arriverons. Je veux encore voyager. En fait, on a déjà réservé notre aller simple vers l’Arizona pour notre séjour hivernal. Je ne sais pas à quoi ressemblera notre hiver, mais on va s’adapter. J’ai bon espoir qu’un vaccin sera découvert dans la prochaine année, et on dormira tous beaucoup mieux quand ce sera fait. Je veux croire que cette expérience partagée enseignera aux gens et au monde entier à être plus reconnaissants, à être résilients, et à faire preuve de flexibilité et de compassion. Étant donné mon incident cardiaque, je suis d’abord et avant tout heureuse d’être en vie.